MÉMORANDUM D’ALERTE POUR : Monsieur le Président
DE : Veteran Intelligence Professionals for Sanity
OBJET : PRÉVÉNIR UNE DÉGRADATION DE LA SITUATION EN SYRIE
Nous vous écrivons afin de vous alerter, comme nous l’avions fait pour le Président George W. Bush, 6 semaines avant l’invasion de l’Irak, sur le fait que les conséquences de la limitation de votre cercle de conseillers à une petite et relativement inexpérimentée coterie dotée d’une douteuse histoire en matière de bon sens peuvent s’avérer désastreuses.
Actuellement, c’est la Syrie qui nous préoccupe. Nous espérons que votre briefing présidentiel de demain accordera une attention particulière à l’avertissement du porte-parole de la diplomatie russe Mme Maria Zakharova :
« Une attaque américaine visant directement Damas et l’armée syrienne, apporterait un terrible changement tectonique, pas seulement dans ce pays, mais aussi dans l’ensemble de la région. »
A la télévision russe, elle a dénoncé ceux
« [dont] la logique se restreint au “pourquoi aurions-nous besoin de la diplomatie… alors qu’il y a la puissance armée … et des méthodes pour résoudre les problèmes par la force”. Nous connaissons cette logique ; il n’y a rien de nouveau à ce sujet. Elle aboutit toujours au même résultat : la guerre à grande échelle. »
Il ne faut pas attribuer à la paranoïa de la partie russe, le fait qu’ils soupçonnent que les attaques aériennes du 17 septembre perpétrées par les forces américaines et australiennes sur les troupes syriennes – faisant 62 morts et 100 blessés – n’étaient pas une « erreur », mais plutôt une tentative délibérée de saborder le cessez-le-feu partiel signé par Kerry et Lavrov, avec votre approbation et celle du Président Poutine, et entré en vigueur juste cinq jours auparavant.
S’exprimant en public de manière frisant l’insubordination, les officiers seniors du Pentagone ont montré ouvertement et de manière inhabituelle leur scepticisme face au traité Kerry-Lavrov. Nous pouvons en déduire que ce que Lavrov a dit en aparté à son supérieur, correspondait plus ou moins aux paroles inhabituellement directes exprimées à la télévision russe NTV le 26 septembre :
« Notre bon ami John Kerry … est soumis à de sévères critiques de la part de la machine de guerre américaine. Ceci malgré le fait que, comme d’habitude, le chef suprême de l’armée Barack Obama le soutient dans ses contacts avec la Russie (il l’a même confirmé pendant sa rencontre avec le Président Vladimir Poutine), alors qu’apparemment les militaires n’écoutent pas vraiment leur commandant-en-chef. »
Les paroles de Lavrov ne sont pas que de la rhétorique. Il a également critiqué le Joint Chief of Staff Joseph Dunford qui disait au Congrès américain qu’il était opposé à la pratique de partager les informations (en matière de renseignement) avec la Russie « …et cela après les accords conclus sur les ordres directs du Président Vladimir Poutine et du Président Barack Obama confirmant leur souhait de partager les informations (en matière de renseignement) avec nous … C’est difficile de travailler avec de tels partenaires. »
Pour de nouvelles négociations, la porte reste entrouverte. Ces derniers jours, les fonctionnaires du ministère de la Défense et du Département d’Etat russes, ainsi que le porte-parole du Président Poutine, ont soigneusement évité de fermer entièrement cette porte. Nous y voyons un bon signe que le Secrétaire d’Etat Kerry ait parlé au téléphone avec le ministre des Affaires étrangères Lavrov. Les Russes, de leur part, ont réaffirmé la volonté de Moscou d’honorer les accords signés auparavant sur la Syrie.
Du point de vue du Kremlin, la Russie encourt de beaucoup plus grands dangers que les Etats-Unis. Des milliers de dissidents terroristes russes sont partis en Syrie, où ils récoltent des armes, des fonds, et un savoirfaire pour organiser des révoltes accompagnées de violence. Il est facile de comprendre que Moscou est alarmé par le danger que ceux-ci représenteront quand ils rentreront au pays. De plus, il est très probable que le Président Poutine est comme vous [Monsieur le Président], sous pression de la part des militaires pour liquider « une fois pour toutes » ce chaos « syrien », indépendamment des conséquences sinistres qu’une solution militaire aurait sur les parties en Syrie.
Nous sommes conscients que le Congrès américain et les médias alignés vous invitent à faire chauffer la situation et à réagir en Syrie avec davantage de violence – ouverte ou cachée ou les deux à la fois. […]
A ce sujet, il serait utile [Monsieur le Président] si l’un de vos collaborateurs pouvait suggérer aux médias alignés de baisser le ton de leur campagne puérile et haineuse de diabolisation du Président Poutine qu’ils attaquent personnellement et trop souvent de manière injuste et contre-productive.
En effet, il serait plus constructif de renouer le dialogue direct avec le Président Poutine. Ce serait la meilleure possibilité pour terminer tout « blocage » involontaire. Nous sommes d’avis que John Kerry a raison d’insister sur la situation syrienne absolument chaotique suite à la complexité des intérêts et des nombreux groupes qui s’y concurrencent. Toutefois, il a déjà fait un important travail préliminaire et a trouvé en Lavrov un partenaire utile dans la plupart des cas.
Cependant, au vu du scepticisme russe (et pas seulement russe) persistant quant à l’intensité de votre soutien à votre Secrétaire d’Etat, nous sommes convaincus que des négociations au plus haut niveau seraient la meilleure manière de prévenir tout débordement incontrôlable des têtes brûlées des deux côtés, risquant de mener à une confrontation armée que personne ne peut vouloir.
Par conséquent, nous vous recommandons instamment d’inviter le Président Poutine à vous rencontrer dans un lieu à convenir entre les deux parties, afin de tenter de faire table rase et d’empêcher tout aggravation supplémentaire de la situation du peuple syrien.
A la fin du carnage de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill avait fait une remarque qui ne manque pas d’actualité au XXIe siècle :
« To jaw, jaw, jaw is better than to war, war, war. »
[Traduction libre : « Il est préférable de se parler plutôt que de se faire la guerre. »]
Au nom du comité de direction des « Vétéran Intelligence Professionals for Sanity » [Anciens professionnels du renseignement pour un comportement raisonnable] :
- William Binney, former Technical Director, World Geopolitical & Military Analysis, NSA ; co-founder, SIGINT Automation Research Center (ret.)
- Fred Costello, Former Russian Linguist, USAF
- Mike Gravel, former Adjutant, top secret control officer, Communications Intelligence Service ; special agent of the Counter Intelligence Corps and former United States Senator
- Matthew Hoh, former Capt., USMC, Iraq & Foreign Service Officer, Afghanistan (associate VIPS)
- Larry C. Johnson, CIA & State Department (ret.)
- John Kiriakou, former CIA counterterrorism officer and former senior investigator, Senate Foreign Relations Committee
- Linda Lewis, WMD preparedness policy analyst, USDA (ret.) (associate VIPS)
- Edward Loomis, NSA, Cryptologic Computer Scientist (ret.)
- Ray McGovern, former US Army infantry/intelligence officer & CIA analyst (ret.)
- Elizabeth Murray, Deputy National Intelligence Officer for Middle East, CIA (ret.)
- Todd Pierce, MAJ, US Army Judge Advocate (ret.)
- Coleen Rowley, Division Counsel & Special Agent, FBI (ret.)
- Kirk Wiebe, former Senior Analyst, SIGINT Automation Research Center, NSA, (ret.)
- Robert Wing, former Foreign Service Officer
- Ann Wright, U.S. Army Reserve Colonel (ret) and former U.S. Diplomat
Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS) [Anciens professionnels du renseignement pour un comportement raisonnable] est un groupe de fonctionnaires actifs ou retraités des Services secrets américains, dont certains de la CIA, du bureau des services de renseignements du Secrétariat d’Etat (INR) et des services de renseignements militaires (DIA).
Ils se sont organisés au niveau national en janvier 2003 pour protester contre l’utilisation d’informations falsifiées des services secrets pour justifier l’invasion de l’Irak par les troupes américaines et britanniques. Avant le début de l’invasion, le groupe a publié une lettre, décrivant que les analystes des divers services de renseignements n’avaient pas été entendus par les responsables politiques.
En août 2010, ils ont rédigé un mémorandum adressé à la Maison Blanche, mettant en garde contre une attaque imminente de l’armée israélienne contre l’Iran.
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