la guerre énergétique,
la guerre géo-financière,
la guerre des devises ;
sans compter encore d’autres opérations en cours, au plan de la cybernétique et de la propagande.
C’est dans ce cadre que s’inscrit une annonce récente, fort timorée : celle de relancer la bourse pétrolière russe de Saint-Pétersbourg, la Spimex, dans le but de briser le suprématisme énergétique anglo-saxon et l’hégémonie du dollar [1] ; parallèlement, il y a des velléités d’indépendance boursière et de libération énergétique de la part de la Chine.
L’agence Bloomberg News a souligné il y a quelques jours que l’ouverture de la bourse pétrolière chinoise sur la place de Shanghai, où seraient signés les premiers contrats, tarde à se concrétiser, plus de vingt ans après qu’elle ait été annoncée [2].
Le motif allégué, peu crédible, en est la volatilité des marchés, comme si c’était là quelque chose de nouveau, alors que c’est intrinsèque à la création de bulles, propres au marché néo-libéral global, comme vient de l’avouer Jacques de Larosière de Champfeu, ex-directeur exécutif malheureux du FMI, parlant pour la Banque centrale européenne.
Annoncée pour la fin 2015, l’ouverture de cette bourse pétrolière de Shanghai briserait l’arrogance anglo-saxonne qui marchandise le brut à travers le Nymex et l’IPE sur les places respectives de New York et de Londres. Or elle vient d’être reportée à une date indéterminée en 2016.
En 1993, le gouvernement chinois avait introduit un contrat à usage interne pour le brut, mais l’opération fut interrompue un an plus tard lors de « l’évaluation » de son industrie énergétique.
Maintenant, les importations chinoises ont augmenté de façon substantielle : 7,9 millions de barils par jour, soit 8,3 % de plus depuis cinq mois ; et cela est destiné principalement à alimenter les réserves stratégiques chinoises [3].
La Chine d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a vingt ans, quand elle commençait à peine à décoller dans la géo-économie globale ; et elle n’avait pas encore mis en place l’association stratégique avec la Russie, dans la phase capitale de réhabilitation et de restauration relative entreprises par le tsar Vladimir Poutine.
Aujourd’hui, les mousquetaires chinois fort habiles se positionnent comme la première superpuissance géo-économique globale (quant au pouvoir d’achat) et ils ont implanté l’association stratégique nucléaire et gazière avec la Russie pour empêcher l’étranglement humiliant par les US ; la portée véritable de leur accord reste secrète.
Comme une image dans le miroir, les exportations de la Russie vers la Chine ont battu tous leurs records [4], ce qui consolide la complémentarité éventuelle entre les deux projets de nouvelles bourses pétrolières : une bourse russe à Saint-Pétersbourg, la Spimex, et une autre à Shanghai.
Il semblerait que Poutine applique l’apophtegme des biologistes selon lequel « la fonction crée l’organe », comme il l’a énoncé fin 2014, à l’occasion du sommet de l’APEC à Pékin, avant la mise en place des sanctions asphyxiantes par Obama et la guerre contre le rouble, par le biais de l’effondrement des prix du brut. Il avait déclaré : « l’usage du rouble et du yuan pourraient réduire l’influence du dollar ».
Presque un mois après les vœux tripolaires de Poutine, son féroce adversaire Obama, qui a jusqu’à présent opté de façon efficace et presque muette pour la guerre financière et la guerre des devises, en lieu et place des désastreuses aventures militaires, portait des coups sévères au rouble.
La transition vers le nouvel ordre tripolaire USA-Russie-Chine ne sera pas facile, dans la mesure où les faucons US tant financiers que militaires, s’acharnent à maintenir une unipolarité qui n’est pas viable.
La Chine est en compétition avec les États-Unis, en tant que premier importateur global de brut, et elle a besoin d’avoir plus d’influence quant à la cotation de l’or noir, mais elle a aussi besoin de promouvoir l’utilisation du yuan/renminbi. C’est pourquoi elle a assoupli les règles qui permettent aux raffineries « indépendantes » d’importer du pétrole [5].
La participation des raffineries chinoises n’est pas à dédaigner, car elles ont déjà pu traiter près de 10,6 millions de barils par jour.
Au-delà de la marchandisation vulgaire autant que réductionniste, les conjonctures géo-politiques sont cruciales pour la prise de décision de la part du gouvernement chinois, alors que le mandarin Xi met en œuvre son singulier modèle mixte (public-privé) en gérant à la fois, dans l’étape actuelle, floraison, consolidation et sauvegarde.
Lu Feng, fonctionnaire de la Shanghai International Energy Exchanges, a fait savoir que la bourse énergétique doit finir d’adopter des règles et des conduites de simulation mercantile (au bout de vingt ans !) sans oublier qu’il lui faut l’approbation de la Commission de régulation des valeurs cotées en bourse de la Chine.
Selon Bloomberg, les turbulences boursières et la volatilité des marchés financiers —où se jouent la guerre des devises et la guerre géo-financière entre le dollar et le yuan/renminbi— même si elles ne se déclarent pas comme telles, ont apaisé le gouvernement chinois, qui a besoin d’acquérir une influence plus grande sur la cotation du pétrole, contrôlée actuellement de façon anormale par les places de New York et de Londres.
Est-ce que la Chine redoute une guerre géo-financière assénée sans pitié à partir des places financières et énergétiques de Londres et New York associées ?
Lors du dernier heurt entre le dollar et le yuan/renminbi, la Chine s’est encore vue obligée de lâcher 100 milliards de dollars tirés de ses réserves en devises, qui ne sont plus maintenant que de 3 000 milliards de dollars, même si elles restent toujours les premières au monde.
Gabe Collins, du site The Diplomat (très proche du Japon) fait le commentaire suivant : « l’accent mis sur la hausse du pétrole d’Amérique du Nord (sic ; l’auteur oublie que le Mexique aussi fait partie de l’Amérique du Nord, du point de vue de la géographie physique), d’Arabie saoudite et des jihadistes de Daech cache une tendance énergétique croissante et nouvelle : le fait que la production chinoise est en passe d’atteindre son pic » [6] ; cela expliquerait son spectaculaire rebond tout récent, depuis l’effondrement à 25 dollars le baril jusqu’aux environs de 50 dollars aujourd’hui, ce qui « aura des implications profondes sur le marché pétrolier, car la Chine n’est pas seulement un importateur massif de brut, mais se trouve aussi au rang des cinq principaux producteurs globaux, juste après les USA, la Russie, l’Arabie saoudite, et pratiquement à égalité avec le Canada » [7].
Le pétrole de schiste (shale oil) constitue un chapitre spécial : la Chine en possède des réserves pléthoriques, avec un énorme potentiel, selon l’U.S. Energy Information Administration (EIA) (qui informe de façon souvent fort biaisée) : soit 32 milliards de barils techniquement accessibles.
Comment le président Obama sortant répondra-t-il aux velléités boursières de la Russie et de la Chine ?
Pour le moment, dans le cadre ambigu et confus des relations de coopération/confrontation entre Obama et le mandarin Xi, il faut relever que les USA ont levé l’embargo sur la vente d’armes au Viêt Nam [8], leur ancien ennemi, et ce, dans l’optique d’une confrontation avec leur nouveau rival, la Chine.
Alfredo Jalife-Rahme
Traduction
Maria Poumier
[1] « Rusia abrirá su bolsa petrolera en rublos », Alfredo Jalife-Rahme, La Jornada, 22 de Mayo de 2015.
[2] “China’s 20-Year Crude Oil Futures Wait Drags On Amid Volatility”,Bloomberg News, November 19th, 2015
[3] “China’s April Oil Imports Second Highest On Record As Nation Builds Reserves”, Kenneth Rapoza, Forbes, May 9th, 2016.
[4] “Russian oil exports to China hit record high in April”, Russia Today, May 23th, 2016.
[5] « China’s Oil Buying Rules Further Loosened Amid Record Imports »,Bloomberg, July 23th, 2015.
[6] « China Peak Oil : 2015 Is the Year », Gabe Collins, The Diplomat, July 7th, 2015.
[7] “Total Petroleum and Other Liquids Production - 2014”, U.S. Energy Information Administration (EIA).
[8] “Obama Lifts Arms Embargo on Former Enemy Vietnam”, Cindy Saine, Voice of America, May 23th, 2016
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