Noel, cette année, a été endeuillée par un tragique évènement: le crash d’un avion militaire russe à Sotchi, avec à son bord 9 journalistes, le Choeur Alexandrov et l’humanitaire Docteur Liza, se rendant en Syrie pour soutenir les militaires russes et apporter des médicaments pour les civils. A un peu plus de 5h du matin, après 7 minutes de vol, il s’écrase dans les eaux côtières. 92 personnes, 92 morts.
Il est difficile de traduire l’émotion qui s’est emparée de la société russe. Le Choeur Alexandrov est un symbole, une force, depuis sa première prestation en 1928. Il a accompagné les hommes au front lors de la Seconde Guerre Mondiale, a été présent sur tous les lieux de conflits, se produit dans le monde entier. Churchill, en 1945, disait de lui qu’il était l’arme chantante de l’Union Soviétique.
Elizabeth Glinka est née à Moscou d’une famille de militaire et de médecin. Elle fait sa médecine, épouse un avocat belge d’origine russe, Glinka, et part aux Etats Unis avec lui en 1986, où elle va se spécialiser dans les soins paliatifs. Elle participe à la création de la première unité de soins paliatifs à Moscou, ensuite part avec son époux deux ans à Kiev à la fin des années 90, travaillant dans des projets américains liés au domaine médical. En 2007, à Moscou, elle va fonder sa Fondation financée par le parti Russie Juste, entrera dans l’activisme politique un instant avec la Ligue des électeurs qui doit surveiller les élections dans la foulée de Bolotnaya. Toutefois, si elle est profondément ancrée, de part son parcours, dans le clan de d’opposition libérale, elle ne prend pas de position politique particulière et s’en éloigne petit à petit. A partir de 2014, même si son discours ne change pas, elle va s’investir pour aider les enfants du Donbass victimes des bombardements ukrainiens, puis prolonge son action en Syrie. Des centaines d’enfants lui doivent la vie.
En coulant au fond de la mer, cet avion a emporté avec lui des symboles vivants, forts, qu’il sera impossible de remplacer prochainement.

TU154
Mais que s’est-il passé? Ici, la communication cahotique laisse à désirer. Les services répètent comme une incantation qu’il ne s’agit pas d’un acte terroriste. Une véritable incantation. Et aucune version n’est totalement plausible.
Selon le FSB et le Ministère des transports en charge de l’enquête sur les causes de cette tragédie, il y a quatre explications prioritaires:
  1. intrusion de corps étrangers dans les moteurs – peut être une attaque groupée de canards sauvages pour toucher simultanément les 3 moteurs?
  2. essence de mauvaise qualité – finalement, après vérification, il a été prouvé que tout était correct
  3. erreur de pilotage
  4. problème technique
Mais, rien à ce jour ne permet de dire qu’il s’agit d’un attentat.
La première boîte noire vient d’être retrouvée et espérons qu’elle donnera plus d’informations et permettra une communication plus cohérente que ce à quoi nous avons assisté depuis dimanche.
Rappelons certains faits:
  • En dehors des 13 corps retrouvés, l’on a également trouvé 160 morceaux de corps.
  • Le fuselage de l’avion est en morceaux, notamment de petits morceaux, en plus des morceaux de moteurs et différents éléments de l’appareil.
  • Tout s’est passé tellement vite que les pilotes n’ont pas pu signaler quoi que ce soit à la tour de contrôle, ni même appuyer sur le bouton de SOS.
Dimanche, l’on apprend que l’arrêt à Sotchi n’a rien d’extraordinaire, cela se fait couramment lorsque l’avion doit continuer en Syrie, un des journalistes à bord envoie un message depuis le départ à Moscou disant que le vol doit prendre environ 5h, mais s’ils s’arrêtent comme prévu à Sotchi, ça pourra prendre plus longtemps.
Depuis Lundi, la communication dérape. Le mot est simple: ce n’est pas un attentat. A aucun prix. Semblerait-il même à celui de la réputation. Dans le désordre.
Les médias lancent que parmi les corps remontés, certains avaient des gilets de sauvetage. Donc … donc … c’est un accident. Le ministère de la défense réagit immédiatement, vertement, et qualifie cela « d’insinuations ignobles ».
Sur les plateaux de télévision, chacun fait son focus. Sur Rossiya 24, dans l’émission Fakty (Les faits), l’on est noyé sous les détails techniques des courants marins, du relief des fonds, des fiches techniques de l’avion, des appareils de recherches etc. Sans aucune analyse. Dans l’émission 60 minutes sur Rossiya 1, les experts vantent la qualité de la formation des pilotes, la robustesse de l’avion, la minutie dans le contrôle. Dès que la conversation glisse, donc, vers l’attentat, dernière explication possible, là aussi, c’est impossible: les contrôles sont sérieux. Bref, c’est impossible, car c’est impossible.
Dans la presse, l’on voit apparaître des articles expliquant que l’attentat est impossible car … il ne devait pas aller à Sotchi, mais à Mozdoka. Toutefois, en raison du mauvais temps, au denier moment, sans que personne ne soit au courant, en cours de route, il s’est détourné vers Sotchi…. Soit, le journaliste qui parlait de Sotchi avant même que l’avion n’ait décollé de Moscou était alors visionnaire.
Et plus le temps passe et plus l’hystérie gagne les « sources » journalistiques. L’on frôle la science-fiction aujourd’hui. L’idée qui semble vouloir être « vendue » est que les pilotes auraient tenté de poser l’avion sur la mer, mais sans succès.
Ainsi, alors que dimanche soir l’on sortait comme témoin un « pêcheur » qui n’aurait pas du tout entendu d’explosion – donc ce n’est pas un attentat, le plus important – aujourd’hui, il faut aller plus loin, le pêcheur ne fait plus le poids. Apparaît tel un deus ex machina un garde-frontière qui, lui, sur son petit bateau, aurait absolument tout vu … mais rien dit jusqu’à présent… Ce témoin surprise explique que l’avion tanguait, que les pilotes ont tenté de le poser, mais le choc avec la surface a fait se détacher la queue et l’avion a coulé.
Donc, les pilotes n’ont pas eu le temps d’appuyer sur le bouton SOS, car nous disait-on c’est allé trop vite et ils n’ont pu réagir. Mais, ils ont eu le temps de tenter un amerrissage. Sans contacter la tour de contrôle. Et le garde frontière, n’a pas signalé le lieu du crash, puisqu’il a fallu plus d’une journée pour trouver le lieu exact. Même si la zone des recherches ne cesse d’être élargie. Et encore, malgré un amerrissage, les corps sont en morceaux, les moteurs aussi et le fuselage, n’en parlons pas. Soit …
Espérons que la boîte noire donnera des explications plus plausibles. Car, pour l’instant, ce qui s’est passé est incompréhensible. Contre la thèse de l’attentat: les morceaux remontés, selon le FSB, ne portent pas de traces d’explosifs.
Dans tous les cas, le FSB a entièrement raison: ce n’est pas un attentat. Dans tous les cas, cela n’a rien à voir avec du terrorisme: soit une erreur de pilotage ou un défaut technique, soit c’est beaucoup plus qu’un attentat. Car ce n’est pas un groupe extrémiste qui pourrait faire tomber ainsi un avion militaire partant d’un aérodrome russe. Dans ce cas, les implications seraient beaucoup plus graves et dépasseraient de loin la question terroriste.
Laissons donc l’enquête se dérouler et espérons que la communication se calmera, que l’on n’assistera pas à une guerre interne des structures pour se dédouaner de ce qui est arrivé, ce que laisse à penser ces couacs médiatiques. Parfois il vaut mieux ne rien dire que sortir ce genre d’affabulations, au minimum par respect pour les familles de ceux qui ont péri. Dans ce qui est une véritable tragédie, humaine et symbolique. C’est pourquoi, qu’il s’agisse d’un acte volontaire ou d’un accident, dans tous les cas, la société attend une réaction forte de l’Etat.
Vidéo sur les morceaux sortis de l’eau:

Dernière conversation entre les pilotes et la tour de contrôle, tout est normal:

Emission 60 minutes du 26 décembre sur les causes possibles du crash:

Karine Bechet-Golovko