Le « nouveau concept stratégique » de l’Otan se trouve mis en pratique dans les Balkans, où la crise de la Fédération Yougoslave, due aux oppositions entre les groupes de pouvoir et aux poussées centrifuges des républiques, a atteint le point de rupture.
En novembre 1990, le Congrès des États-Unis approuve le financement direct de toutes les nouvelles formations « démocratiques » de la Yougoslavie, encourageant ainsi les tendances sécessionnistes. En décembre, le parlement de la République croate, contrôlé par le parti de Franjo Tudjman, établit une nouvelle constitution en base de laquelle la Croatie est « patrie des Croates » (et non plus des Croates et des Serbes, peuples constituants de la république) et est souveraine sur son territoire. Six mois plus tard, en juin 1991, outre la Croatie, c’est la Slovénie qui proclame sa propre indépendance. Immédiatement après, éclatent des affrontements entre l’armée fédérale et les indépendantistes. En octobre, en Croatie, le gouvernement Tudjman expulse plus de 25 mille Serbes de la Slavonie, tandis que ses milices occupent Vukovar. L’armée fédérale répond, en bombardant et occupant la ville. La guerre civile commence à s’étendre, mais pourrait encore être arrêtée.
La voie qui vient d’être prise est au contraire diamétralement opposée : l’Allemagne, engagée à étendre son influence économique et politique dans la région des Balkans, en décembre 1991 reconnaît unilatéralement Croatie et Slovénie comme états indépendants. Conséquence : le jour suivant les Serbes de Croatie proclament à leur tour l’autodétermination, en constituant la République serbe de la Krajina. En janvier 1992 l’Europe des douze reconnaît aussi, outre la Croatie, la Slovénie. Dès lors s’enflamme aussi la Bosnie-Herzégovine qui, à petite échelle, représente la gamme complète des noeuds ethniques et religieux de la Fédération Yougoslave.
Les casques bleus de l’Onu, envoyés en Bosnie comme force d’interposition entre les factions en lutte, vont être volontairement laissés en nombre insuffisant, sans moyens adaptés et sans directives précises, finissant par devenir otages au milieu des combats. Tout concourt à démontrer la « faillite de l’Onu » et la nécessité que ce soit l’Otan qui prenne en main la situation. En juillet 1992 l’Otan lance la première opération de « réponse à la crise », pour imposer l’embargo à la Yougoslavie.
En février 1994, des avions Otan abattent des avions serbo-bosniaques qui violent l’espace aérien interdit sur la Bosnie. C’est la première action de guerre depuis la fondation de l’Alliance. Avec elle l’Otan viole l’article 5 de sa propre charte constitutive, puisque l’action guerrière n’est pas motivée par l’attaque d’un membre de l’Alliance et est effectuée en dehors de son aire géographique.
LA GUERRE CONTRE LA YOUGOSLAVIE
L’incendie ayant été éteint en Bosnie (où le feu couve sous la cendre de la division en états ethniques), les pompiers de l’Otan courent jeter de l’essence sur le foyer du Kosovo, où depuis des années est en cours une revendication d’indépendance par la majorité albanaise. A travers des canaux souterrains en grande partie gérés par la Cia, un fleuve d’armes et de financements, entre fin 1998 et début 1999, va alimenter l’Uck (Armée de libération du Kosovo), bras armé du mouvement séparatiste kosovar-albanais. Des agents de la Cia déclareront ensuite être entrés au Kosovo en 1998 et 1999, en habits d’observateurs de l’Osce chargés de vérifier le « cessez-le-feu », fournissant à l’Uck des manuels étasuniens d’entraînement militaire et des téléphones satellitaires, afin que les commandants de la guérilla puissent être en contact avec l’Otan et Washington. L’Uck peut ainsi déclencher une offensive contre les troupes fédérales et les civils serbes, avec des centaines d’attentats et d’enlèvements.
Alors que les affrontements entre les forces yougoslaves et celles de l’Uck provoquent des victimes des deux côtés, une puissante campagne politico-médiatique prépare l’opinion publique internationale à l’intervention de l’Otan, présentée comme unique façon d’arrêter la « purification ethnique » serbe au Kosovo. La cible prioritaire est le président de la Yougoslavie, Slobodan Milosevic, accusé de « crimes contre l’humanité » pour les opérations de « purification ethnique ».
La guerre, nommée «Opération force alliée », commence le 24 mars 1999. Pendant que les avions des États-Unis et d’autres pays de l’Otan larguent les premières bombes sur la Serbie et le Kosovo, le président démocrate Clinton annonce : « A la fin du XXème siècle, après deux guerres mondiales et une guerre froide, nous et nos alliés avons la possibilité de laisser à nos enfants une Europe libre, pacifique et stable ». Dans la guerre, le rôle de l’Italie va être déterminant : le gouvernement D’Alema met le territoire italien, en particulier les aéroports, à disposition totale des forces armées des États-Unis et d’autres pays, pour opérer ce que le président du Conseil définit comme « le droit d’ingérence humanitaire ».
Pendant 78 jours, décollant surtout des bases italiennes, 1100 avions effectuent 38 mille sorties, larguant 23 mille bombes et missiles. 75% des avions et 90% des bombes et missiles sont fournis par les États-Unis. Etasunien aussi le réseau de communication, commandement, contrôle et renseignement à travers lesquels sont conduites les opérations : « Sur 2000 objectifs traités en Serbie par les avions de l’Otan -documente ensuite le Pentagone- 1999 ont été choisis par le renseignement étasunien et un seulement par les Européens ».
Systématiquement, les bombardements démantèlent les structures et infrastructures de la Serbie, provoquant des victimes surtout parmi les civils. Les dommages qui en dérivent pour la santé et l’environnement sont incalculables. De la raffinerie de Pancevo, notamment, s’échappent, à cause des bombardements, des milliers de tonnes de substance chimiques hautement toxiques (dont dioxine et mercure). D’autres dégâts sont provoqués par l’emploi massif par l’Otan, en Serbie et Kosovo, de projectiles à uranium appauvri, déjà utilisés dans la guerre du Golfe.
Participent aussi aux bombardements 54 avions italiens, qui accomplissent 1378 sorties, attaquant les objectifs indiqués par le commandement étasunien. « Par le nombre d’avions nous n’avons été seconds que par rapport aux USA. L’Italie est un grand pays et on ne doit pas s’étonner de l’engagement démontré dans cette guerre », déclare le président du Conseil D’Alema pendant sa visite le 10 juin 1999 à la base d’Amendola, en soulignant que, pour les pilotes qui y ont participé, cela a été «une grande expérience humaine et professionnelle ».
Le 10 juin 1999, les troupes de la Fédération yougoslave commencent à se retirer du Kosovo et l’Otan met fin aux bombardements. La résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’Onu indique que la présence internationale doit avoir une « participation substantielle de l’Otan » et être déployée « sous contrôle et commandement unifiés ». A qui revient le commandement ? Le président Clinton l’explique en soulignant que l’accord sur le Kosovo prévoit « le déploiement d’une force internationale de sécurité avec l’Otan comme noyau, ce qui signifie une chaîne de commandement unifiée de l’Otan ». « Aujourd’hui l’Otan affronte sa nouvelle mission : celle de gouverner », commente le Washington Post.
La guerre finie, les États-Unis envoient au Kosovo plus de 60 agents du FBI, mais on ne trouvera pas de traces de massacres pouvant justifier l’accusation, faite contre les Serbes, d’ « épuration ethnique ». Slobodan Milosevic, condamné à 40 années de réclusion par la Cour Pénale Internationale pour l’ex Yougoslavie, meurt en prison après cinq années de détention. La même cour le disculpe, en 2016, de l’accusation de « purification ethnique ».
Le Kosovo, où les États-Unis installent une grande base militaire (Camp Bondsteel), devient une sorte de protectorat de l’Otan. En même temps, sous la couverture de la « Force de paix », l’ex Uck au pouvoir terrorise et expulse plus de 250 mille Serbes, Roms, Juifs et Albanais « collaborationnistes ». En 2008, avec l’autoproclamation du Kosovo comme État indépendant, est accomplie la démolition de la Fédération Yougoslave.
Manlio Dinucci
À suivre
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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