Friday, June 17, 2016

Français -- Sergueï Lavrov: "Russie et UE: quelle suite après le "partenariat stratégique" qui n'a pas eu lieu?"




16 June 201617:45
Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pendant la session du Club de discussion international Valdaï "Russie et UE: quelle suite après le "partenariat stratégique" qui n'a pas eu lieu?" dans le cadre du FEM, Saint-Pétersbourg, 16 juin 2016
16-06-2016

Je voudrais remercier le club Valdaï pour son attention prêtée aux problèmes pertinents dans la politique internationale.
Je pense que le public réputé qui se réunit ici, comme aux activités précédentes du club Valdaï, souhaite réellement trouver des solutions pour normaliser les relations qui se sont établies entre la Russie et l'Occident.
Nous n'avons jamais cherché la confrontation. Nous avons toujours prôné un dialogue équitable et mutuellement bénéfique. En ce qui concerne l'Union européenne, nous étions ouverts au plus large partenariat stratégique qui a été proclamé encore à la fin des années 1990. Aujourd'hui, nous entendons Bruxelles dire que la Russie n'est plus un partenaire stratégique, bien qu'elle demeure un Etat stratégique. Cet "équilibrisme verbal" n'est pas nouveau et, d'après moi, cache manifestement l'incapacité de l'UE de comprendre la situation à l'étape actuelle.
Bien sûr, nous avons vu les "cinq principes" annoncés par la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini à titre d'approche des relations avec la Russie à l'étape actuelle. Nous pensons que ces principes ne répondent pas à la question "que faire", mais constate l'approche de l'UE acquise sur la base de la solidarité de manière à limiter au maximum les relations avec la Russie dans certains domaine, y compris l'énergie, et à la fois se laisser le droit de nous inviter à la coopération là où c'est profitable à l'UE. Il est évident qu'une telle approche ne peut pas fonctionner. "Les affaires comme d'habitude", c'est exclus. Washington et Bruxelles aiment répéter cette phrase. Mais cela fait longtemps que nous ne songeons pas aux "affaires comme d'habitude", en se disant prêt à coopérer uniquement sur une base mutuellement bénéfique à part entière.

En ce qui concerne la coopération énergétique, nous avions tout un choix de dialogues sectoriels avec l'UE, y compris sur l'énergie. Le Vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic s'est rendu à Moscou en janvier et s'est dit intéressé par la reprise d'un dialogue énergétique à part entière entre la Russie et Bruxelles. Mais rien n'a suivi. Evidemment, nous nous sommes dits prêts pour cela. Mais tout reste comme avant. Les documents doctrinaux adoptés par l'UE dans le domaine énergétique fixent directement pour objectif de réduire la dépendance de la Russie. Nous comprenons que la plupart de telles directives de stopper la coopération avec la Russie viennent de l'autre côté de l'océan. Les Américains ont leurs propres intérêts économiques. Aujourd'hui, on a l'impression que la période quand la logique des jeux à somme nulle et les exigences de décider si vous êtes avec "nous" ou avec "eux", adressées pratiquement à tous les Etats postsoviétiques, ont finalement conduit à la crise qui a éclaté en Ukraine. Nous constatons une volonté de profiter de la situation pour nous évincer économiquement en Europe tout en colmatant la solidarité de l'Otan, qui ne pourrait certainement pas durer en l'absence d'un ennemi commun. Le vice-président de Gazprom Alexandre Medvedev pourra vous parler plus en détail de l'énergie.
Je suis certains que la crise actuelle devrait nous aider avec l'UE à comprendre que faire par la suite. Nous ne nous vexerons pas et ne nous isolerons pas. L'UE est notre voisin direct, un partenaire commercial et économique crucial. Je suis sûr que le développement des relations les plus diversifiées dans l'économie, la politique, la culture et la sécurité correspond aux intérêts fondamentaux de la Russie et des pays d'Europe.
Le Président russe Vladimir Poutine a souligné dans un article dans le quotidien grec Kathimerini, avant sa visite en Grèce, que nous ne voyons pas de problèmes insolubles dans nos relations avec l'UE. L'importance est de renoncer au jeu à somme nulle regrettable et chercher à s'appuyer sur ses intérêts nationaux, au lieu des principes inventés de consensus et de solidarité derrière lesquels se cache en réalité une possibilité de chantage de la part de la minorité russophobe. Appelons les choses par leur nom. Au final, les pays qui de manière purement politique veulent rompre les relations entre la Russie et l'Occident forcent simplement l'UE et l'Otan d'adopter une position au dénominateur commun le plus bas.
En ce qui concerne les solutions pour régler la crise en Ukraine, nous pouvons en parler indéfiniment. Il y a les Accords de Minsk. Les tentatives de les réécrire sont inadmissibles et inacceptables. Nous espérons que nos partenaires occidentaux remettront Kiev sur le droit chemin, d'autant que les Allemands, les Français et même les Américains commencent à être fatigués de leurs protégés "capricieux", qui ont signé un texte mais refusent de le mettre en œuvre. Je le répète, nous apprécions les voix qui se font de plus en plus entendre en Europe, y compris dans le milieu d'affaires, qui proposent raisonnablement et lucidement d'entamer enfin un dialogue équitable et chercher des formes équitables de coopération.
Le quotidien Kommersant a récemment publié un article du Président de la Confédération de l'industrie italienne en Russie Ernesto Ferlenghi, qui souligne la nécessité de reconnaître de facto le rôle géopolitique important de la Russie, "il ne reste plus qu'à convaincre l'UE qu'il est impossible d'éviter les relations avec la Russie". Vous voyez quelles vérités écrites doivent être exprimées par des personnes respectables pour tenter de renverser une période complètement malsaine dans notre histoire commune?
Dans peu de temps se tiendra l'entretien du Président russe Vladimir Poutine avec le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Nous espérons que cette conversation aidera à commencer à avancer dans la direction dans laquelle, j'en suis certain, nous devons aller de toute façon si nous voulons nous appuyer sur les intérêts de nos propres pays et peuples.
Question: Avec le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker vous avez souligné aujourd'hui l'importance du dialogue entre la Russie et l'UE. Il est évident qu'aucune grande décision n'est encore prévue en ce sens. Il vaut peut-être mieux se concentrer sur des démarches mineures? Concrètement, quelles mesures de renforcement de la confiance pourraient avoir lieu à l'étape actuelle?
Sergueï Lavrov: Nous avons fait pour nous un "inventaire" des relations avec l'UE. Nous avons obtenu un document informel très conséquent. Nous espérons le remettre à nos collègues et proposer d'effectuer ensemble un tel "inventaire".
En réalité, le dialogue n'a jamais été interrompu. Des experts se réunissent sur la plupart des domaines sectoriels. Pas au niveau ministériel, mais les contacts entre les experts se poursuivent. Nous venons d'avoir un nouveau cycle du dialogue sur la migration. C'est également notre sphère d'intérêts. En couchant sur papier les faits qui caractérisent l'état actuel des choses, comment nous voyons ces faits, comme l'UE les voit, ce sera mis en évidence, et nous espérons que cela aidera à entamer une discussion d'affaires en rejetant tous les préjugés géopolitiques et la rhétorique politique, car le désir de jouer à ces jeux politiques coûte trop cher.
Question: Monsieur le Ministre, le Secrétaire d'Etat américain John Kerry a déclaré récemment que les USA commençaient à perdre patiente par rapport à l'avancement du processus de paix en Syrie et au sort du Président syrien Bachar al-Assad. Toutefois, par la suite le Département d'Etat a annoncé que cette déclaration n'était pas une menace. Que pouvez-vous en dire?
Sergueï Lavrov: J'ai vu cette déclaration. J'ai été étonné. En général John est un homme politique qui a de la retenue. J'ignore même ce qui s'est passé. J'ai également vu les précisions faites par le porte-parole du Département d'Etat. Il faut probablement être plus patient, d'autant que le Président américain Barack Obama a déclaré à plusieurs reprises que son administration menait une politique de "patiente stratégique".
Quant au fond de ce qui préoccupe le Secrétaire d'Etat américain John Kerry, or il a dit perdre patiente parce qu'on ne peut toujours pas faire ce qui doit être fait avec le Président syrien Bachar al-Assad, nous ne devons rien à personne et nous n'avons rien promis à qui que ce soit. Nous avons convenu que tous ceux qui travaillent sur le processus de paix en Syrie se tiendront aux accords convenus dans le GISS et fixés par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Je rappelle qu'il y est question d'une stratégie globale concernant des choses concrètes à entreprendre dans le domaine militaire (stopper les combats, la transition au cessez-le-feu), dans le domaine humanitaire et, évidemment, dans le processus politique. La fin des combats, même si ce n'est pas à 100%, a tout de même permis de réduire considérablement le niveau de la violence.
En ce qui concerne le domaine humanitaire, si l'an dernier seulement deux ou trois des 18 régions assiégées avaient un accès humanitaire, cette année 15 des 18 régions reçoivent l'aide humanitaire. La position constructive du gouvernement syrien y joue un rôle immense. En effet, ils n'acceptent pas immédiatement tout ce que propose l'Onu. On soupçonne qu'une partie de cette aide soit livrée aux opposants au régime. Il est évident que le gouvernement syrien ne voudrait pas faire quelque chose qui serait dirigée contre ses propres intérêts.
Mais je le répète, il y a du progrès. Là où il n'y a pas de progrès, c'est dans le processus de paix. Je viens de m'entretenir avec le Secrétaire général de l'Onu Ban Ki-moon et avec l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura, et nous en avons parlé en toute franchise. Le dialogue politique avec la participation de toutes les parties syrienne n'arrive toujours pas à démarrer, bien que la résolution exige une composition inclusive de la délégation. Les Turcs s'opposent à la participation des Kurdes, et le Haut comité des négociations (HCN) refuse de reconnaître les membres d'autres groupes d'opposition comme son égal et exige d'être reconnu comme le principal négociateur. Alors que la résolution stipule que tous les groupes syriens doivent être représentés aux négociations, y compris celui de Riyad, de Moscou, du Caire et le HCN. On n'arrive pas à faire assoir ces gens à une table de négociations conformément au mandat très clair du Conseil de sécurité des Nations unies non pas par notre faute, mais par la faute des partenaires américains qui ne peuvent pas ou ne veulent pas faire pression sur leurs alliés dans la région. Or ces alliés dans la région adoptent des positions sans appel.
Tout le monde sait que la Turquie refuse d'admettre à la table des négociations le Parti de l'union démocratique des Kurdes syriens. Elle ne le cache pas et même s'en vante, je crois. Ce groupe qui se fait appeler "Haut comité des négociations" déclare qu'il ne s'assoira pas à la table des négociations avec le gouvernement syrien tant que se poursuivaient les bombardements des positions des opposants au régime qui souhaitent participer au cessez-le-feu.
Je rappelle qu'en février, quand le GISS s'était réuni, le Secrétaire d'Etat américain John Kerry en personne a annoncé publiquement la décision d'entamer le processus en impliquant l'opposition et le gouvernement dans le régime de cessez-le-feu. Cela ne concerne pas le Front al-Nosra et Daech. C'est pourquoi les groupes qui sont actuellement mélangés territorialement avec le Front al-Nosra et l'Etat islamique et ne veulent pas subir des attaques doivent se séparer physiquement sur le terrain, quitter ces territoires pour que la lutte contre le Front al-Nosra se poursuive efficacement et que ces groupes ne soient pas touchés. Le Secrétaire d'Etat américain John Kerry l'a déclaré début février. Fin février nous avons eu un contact à très haut niveau avec des représentants du renseignement américain. Nous leur avons rappelé qu'ils avaient promis de "faire sortir" les opposants aux régimes qui travaillent avec les USA des positions du Front al-Nosra. Notre collègue avait demandé deux semaines. Trois mois se sont écoulés. Aujourd'hui les Américains disent qu'ils n'arrivent pas à retirer les "bons" opposants des positions occupées par le Front al-Nosra et qu'ils ont besoin d'encore deux ou trois mois. J'ai l'impression d'assister à un jeu et peut-être qu'on cherche à préserver le Front al-Nosra sous une certaine forme, puis l'utiliser pour renverser le régime. Du moins, j'ai directement posé cette question au Secrétaire d'Etat américain John Kerry. Il jure que ce n'est pas le cas. Il faut alors voir pourquoi les Américains, avec tous leurs moyens, n'arrivent pas à sortir du territoire contrôlé par des bandits et des terroristes les groupes avec lesquels ils travaillent.
C'est un cercle vicieux. Le groupe qui se fait appeler "Haut comité des négociations" déclare qu'il ne s'assoira pas à la table des négociations avec les Kurdes et le gouvernement syrien tant que les bombardements ne cessaient pas. Or stopper les bombardements signifie le renforcer davantage grâce à la contrebande d'extrémistes, de matériel militaire, d'armes et de munitions, qui continue d'affluer de Turquie en Syrie. Nous montrons tout cela aux Américains. Nous avons tous les jours des visioconférences entre la base russe de Hmeimim et le commandement de la coalition américaine dans la capitale jordanienne.
Un centre opérationnel russo-américain commun a été créé à Genève pour réagir aux violations du cessez-le-feu. D'ailleurs, tous ces canaux fonctionnent de manière plutôt professionnelle. On n'y voit aucune hystérie, contrairement à l'espace public où on lâche sur nous tous les chiens. Nous y soumettons des faits réels et des photos du terrain, nous montrons les positions occupées par différentes forces, où il est possible d'annoncer le cessez-le-feu et où c'est inadmissible, car cela jouerait en faveur des terroristes. J'espère donc que cette longue description de nos relations permettra de mieux comprendre qu'il incorrect de faire preuve d'impatience à notre égard.
Question: L'ex-ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine a eu parfaitement raison en disant qu'il était nécessaire aujourd'hui de sortir du "piège" dans les relations entre la Russie et l'UE. La même chose disaient le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.
Pourriez-vous citer quelques exemples concrets de ce qui pourrait être fait littéralement maintenant? Quelles premières démarches pourraient être entreprises pour sortir de ce "piège"?
Sergueï Lavrov: Premièrement, je voudrais vous informer de la manière dont la crise ukrainienne devient aujourd'hui une pierre à aiguiser. Souvenez-vous comment ont été décrétées les sanctions bien avant les Accords de Minsk. Je n'aime pas en parler, mais je le rappelle dans ce contexte non pas pour dire que cela ne nous plaît pas et ne peut pas nous plaire, mais pour comprendre que des choses aussi discriminatoires peuvent être utilisées contre nous. Du point de vue de la logique la confrontation, j'en suis persuadé, réside dans des événements bien antérieurs qui se sont produits avant la crise ukrainienne. Cela indique que la ligne de refrènement de la Russie est mise en œuvre depuis relativement longtemps. Une grande partie de sanctions a été décrétée par l'UE presque immédiatement après que le Boeing malaisien ait été abattu en Ukraine. Personne n'a cherché à expliquer qu'une enquête devait être menée. Nous sommes les seuls à avoir insisté pour que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution ferme pour exposer toutes les exigences de mener une enquête ouverte et responsable selon les normes internationales et informer le Conseil de sécurité des Nations unies du déroulement de l'enquête. Aucun rapport n'a été soumis au Conseil de sécurité des Nations unies. Le groupe créé indépendamment pour enquêter sur les causes du crash avec la participation des Néerlandais, des Ukrainiens et des Australiens n'a même pas immédiatement appelé la Malaisie, dont l'avion a été abattu. Elle a été admise à l'investigation seulement en décembre, pratiquement six mois plus tard, tandis que les sanctions ont été décrétées rapidement. Tout le monde avait l'impression qu'il y avait une raison et un prétexte pour adopter des sanctions.
De nouvelles sanctions ont été décrétées en septembre 2014, trois jours après la signature des premiers Accords de Minsk. Tout le monde les avait salués. Mais le président du Conseil européen de l'époque, Herman Van Rompuy, sans consulter les chefs d'Etat et de gouvernement, a signé un décret qui reste en vigueur à ce jour. Je sais que certains chefs d'Etat et de gouvernement lui ont même exprimé en privé leur profond mécontentement par rapport à sa décision délibérée sapant les relations entre la Russie et l'UE.
Les sanctions ont été prolongées à nouveau tout de suite après la signature des seconds Accords de Minsk. Il me semble que l'UE a commencé à chercher depuis longtemps une formule qui permettrait de sortir de ce cercle vicieux. Et ils pensaient avoir trouvé une très bonne solution – que les sanctions seront levées quand la Russie remplira entièrement les Accords de Minsk. Nous venons d'entendre de la part de ceux qui ont lu les textes que c'est avant tout la partie ukrainienne qui devait remplir les Accords de Minsk. La majeure partie des 13 paragraphes concerne personnellement Kiev, y compris le paragraphe de décentralisation qui a été signé par la Chancelière allemande Angela Merkel et le Président français François Hollande en personne. Il n'y a rien à inventer, simplement prenez ces formulations et inscrivez-les dans la loi en question. La formule selon laquelle les sanctions seront levées quand la Russie remplira les Accords de Minsk convient parfaitement à ceux en Ukraine qui ne veulent rien faire: aucune décentralisation, aucune amnistie, aucun statut particulier. Ils sabotent la mise en œuvre de tous les termes politiques des Accords de Minsk et disent qu'il faut prolonger les sanctions, car la Russie ne peut pas forcer les séparatistes à déposer les armes. Dans ce cas je voudrais demander en évoquant cette question de se rappeler que ceux qu'on appelle les séparatistes ont signé les Accords de Minsk qui confirment la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Il est incorrect de les qualifier de séparatistes.
Hier, pendant la réunion du Groupe de contact, les collègues ukrainiens ont à nouveau déclaré qu'ils commenceraient à remplir la partie politique des Accords de Minsk en ce qui concerne les engagements de Kiev seulement en cas d'un cessez-le-feu total, inconditionnel et sans aucune violation pendant trois mois. C'est tout simplement irréaliste. On trouvera forcément quelqu'un, y compris du côté ukrainien, qui tirera quelque part et le décompte des trois mois reprendra à zéro. Je voudrais que nos collègues le comprennent, même si la plupart des Européens qui suivent ce processus le comprennent déjà. J'espère que pendant les entretiens avec les dirigeants ukrainiens ils leur en parlent également. Il est certainement temps de cesser de saper publiquement les Accords de Minsk et commencer le fameux dialogue direct entre Kiev et le Donbass, comme c'est écrit noir sur blanc dans le texte de Minsk. Il stipule clairement que la loi sur le statut particulier doit être convenue avec ces régions, de la même manière que les amendements à la Constitution. C'est pourquoi il me semble qu'il faut toujours comprendre les origines des faits, or les origines sont apparues bien avant la crise ukrainienne. On pourrait rappeler la réaction de nos amis américains à la situation avec Edward Snowden, quand ils exigeaient de l'extrader et de faire un geste pas très humain ni humanitaire. Quand nous avons poliment expliqué pourquoi c'était impossible, le Président américain Barack Obama a annulé sa visite à Moscou, prévue à la veille du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. Imaginez-vous le niveau auquel se trouve la rancune et la raison pour laquelle elle est exprimée. Sans parler de la loi Magnitski adoptée bien avant les événements en Ukraine. En parallèle on imposait des décisions appropriées à l'UE. Aujourd'hui, quand un réalisateur indépendant a réalisé un film sur la création et la manipulation de l'affaire Magnitski, sa diffusion a été interdite au Parlement européen. On souhaitait l'interdire également aux USA. Elle est belle la liberté d'expression! Nous avons beaucoup de proverbes dans le genre: le pécheur a toujours peur. Je pense que tout le monde doit comprendre: la concurrence demeurera, et les grandes puissances voudront toujours influencer les événements plus que les puissances moyennes. Les USA proclameront probablement toujours la nécessité d'être toujours plus forts que les autres dans tout comme l'objectif de leur existence. C'est un code génétique, mais le réalisme devrait tout de même prendre le dessus. Je suis même prêt à citer l'ex-premier ministre britannique Winston Churchill, qui a déclaré que les USA font toujours la bonne chose après avoir essayé tout le reste. Il l'a vraiment dit. Si tant de choses incorrectes ont été faites en Irak et en Libye, il y a un espoir (si Churchill, paix à son âme, avait raison) que le sort de la Syrie sera meilleur.
Question: L'UE a proposé cinq principes des relations avec la Russie qui, d'après moi, témoignent d'une absence de compréhension en UE des relations qui doivent être établies à terme. Ils se sont simplement concentrés sur ce qui existe. Est-ce que la Russie réagira avec ses propres cinq principes? SI oui, quelles idées elle pourrait proposer?
Sergueï Lavrov: Probablement comme tout le monde, j'ai vu ces cinq principes. Je me souviens quand en automne 2014 j'ai rencontré la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini en marge de la réunion de l'OSCE à Belgrade, nous avons dit qu'il fallait d'une certaine manière définir les relations. Elle a déclaré qu'elle espérait élaborer un agenda créatif pour les relations Russie-UE et les approuver pendant la réunion du CMAE de l'UE. Et il s'est produit ce qui s'est produit. Elle a réussi à faire seulement un "brouillon" de ce qui existe réellement aujourd'hui. La Russie y est mentionnée dans seulement l'un des cinq principes, si je me souviens bien. Plus exactement il y est dit qu'il faut assurer une indépendance énergétique, dépendre le moins possible des facteurs extérieurs, promouvoir le Partenariat oriental, or ce n'est pas du tout quelque chose d'inoffensif. Je sais qu'il y a eu des tentatives de transformer ce projet en processus constructif, mais les intentions de faire quelque chose au détriment de la Russie prennent le dessus, d'être ami avec nos voisins pour nous contrarier. Selon l'un des principes, l'UE coopérera avec nous là où c'est bénéfique pour elle, elle travaillera avec la jeunesse (ce que l'UE n'est pas la seule à faire). C'est un programme pour eux, et non pour les relations avec la Russie. C'est ainsi que l'UE voit son rôle géopolitique et c'est les tâches qu'elle se fixe. Alors que nous avons proposé ce que je viens d'évoquer: faire un "inventaire" commun de ce qui nous avons, faire toute la liste des mécanismes créés à commencer par les sommets. La Russie était l'unique partenaire de l'UE avec laquelle les sommets étaient organisés deux fois par an. Quand les relations étaient meilleures on se demandait s'il fallait le faire aussi souvent. Mettons-nous d'accord, avons-nous besoin des sommets ou non? Si oui, à quel intervalle: une fois par an, deux, trois?
Il existe le Conseil permanent de partenariat (CPP) où le Ministre russe des Affaires étrangères et la chef de la diplomatie européenne doivent passer en revue tous les domaines d'activité dans le cadre de l'Accord de partenariat et de coopération. Pour parler de la manière dont nos relations s'établissaient, quand Catherine Ashton était la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, elle n'avait jamais réussi à organiser le CPP. Nous nous rencontrions rapidement, elle parlait du Moyen-Orient et d'une autre situation de crise, mais il n'y avait pas d'analyse des relations, ce qui est une fonction cruciale de ce mécanisme.
Maintenant nous parlerons avec le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, et j'espère que le Président russe Vladimir Poutine lui proposera d'organiser un "inventaire" commun, de regarder chaque dialogue sectoriel et comprendre si nous en avons besoin ou non.
Dans son intervention, le Directeur du Centre d'études d'intégration de la Banque eurasiatique de développement Evgueni Vinokourov parler de la délégation au niveau supranational d'un grand nombre de pouvoirs (près de 140). Ce chiffre est plus élevé en UE, mais la Commission en veut encore plus. Nos collègues des compagnies analytiques ne l'ont pas mentionné, mais il apparaît une très grande tension au vu des exigences de la Commission de s'ingérer dans les négociations bilatérales, y compris entre les compagnies. Je pense qu'il faut réévaluer la situation au sein de l’UE également.
La Russie est accusée de vouloir semer la discorde, car elle ne parle pas avec l'UE et souhaite parler avec les pays à part qui lui sympathisent. Or que devons-nous faire? Nous ne pouvons pas nous séparer complètement de l'Europe – c'est notre voisin direct et notre plus important partenaire commercial. Si la Commission a bloqué ses canaux de communication avec nous, bien évidemment nous parlerons davantage directement aux gouvernements nationaux.

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