Bien que l’Ouest ait affirmé que ses sanctions contre la Russie n’étaient censées cibler que certains secteurs de son économie, et pas sa population en général, elles ont été spécifiquement conçues pour déclencher l’effondrement du réseau bancaire, de la production alimentaire, de la construction civile, et pour déclencher un chômage de masse et généraliser la faim et les troubles sociaux. En substance, en 2016, la Russie était censée retomber dans la période catastrophique des années 90, connue sous le nom de « perestroïka ».
Quant à l’implication de la Russie en Syrie, elle était censée devenir un « bourbier » destructeur de la précieuse petite puissance militaire du pays.
Pour ceux qui n’ont jamais cru en la fiabilité des analyses occidentales, il devait être déjà évident que le job des cercles de réflexion consistait à prédire les désirs de leurs politiciens, alors que la Russie et ses alliés travaillent à présent à changer la réalité.
« La consolidation de la Russie a complètement changé le calcul. » Ce témoignage au Sénat du Lieutenant-général Vincent R. Stewart, chef de la Defense Intelligence Agency, nous a appris, en février 2016, que le renseignement US avait fait une sorte de calcul [= manigance, NdT].
En revenant sur les déclarations officielles et les prévisions politiques concernant la Russie, trouverons-nous une manigance à l’œuvre ?
Voici la liste des prédictions les plus en vogue au sein des cercles de réflexion occidentaux, chaque item numéroté est immédiatement suivie de quelques chiffres et faits reflétant l’état concret de la situation :
  1. Les sanctions occidentales contre la Russie, qui ont commencé en mars 2014, visent à miner le financement et l’investissement dans l’économie de ressources naturelles russe sur une durée de cinq ans.
Cette prédiction ne s’est pas concrétisée. En partie grâce aux sanctions occidentales, l’économie russe s’est positionnée de manière à avoir les cinq meilleures années que jamais.
  1. La Russie cédera sous la pression des sanctions en 2016.
Cette prédiction a aussi avorté. Non seulement le gouvernement russe et les grandes entreprises n’ont pas « cédé » à la pression occidentale, mais cela leur a servi de tremplin pour freiner la fuite des capitaux et stimuler la production. En 2015, la Russie a enregistré une sortie nette de capitaux de 58,9 milliards de dollars, soit près de trois fois moins qu’en 2014. En 2016, la sortie nette de capitaux de la Russie se monte au total à 9,6 milliards de dollars entre janvier et septembre.

Pour rappel, une partie de ce qu’on appelle « sortie de capitaux » est le service de la dette publique. En 2016, la Russie remboursait toujours la dette contractée par le gouvernement soviétique. La Russie a accepté [de régler] la dette de l’Union Soviétique, et libéré ainsi de leur fardeau toutes les autres républiques soviétiques.
  1. Ministre des Finances russes Anton Siluanov : La Caisse de la Réserve Nationale de Russie, 80 milliards de dollars, mise en place pour soutenir la nation après que l’UE et les USA ont initié des sanctions punitives, a déjà dépensé cette année 40,85 milliards de dollars en subventions économiques et elle sera vide en 2016.
 Cette prédiction a aussi fait chou blanc.
Volume des fonds de la richesse nationale : 71,26 milliards de dollars, en baisse par rapport aux 71,72 milliards de dollars de janvier 2016.
Volume des fonds de la Réserve nationale : De 49,95 milliards de dollars, ils ont baissé à 31,30 milliards de dollars en décembre 2016. La caisse n’est pas vide comme cela avait été prédit.
En outre, les réserves d’or de la Russie se montaient à plus de 1600 tonnes au quatrième trimestre 2016, par rapport à 1415 tonnes au 1er janvier 2016.
Rien qu’en novembre, la Banque de Russie a acheté un million d’onces d’or, soit 31,1 tonnes.
Cela pourrait expliquer la tenue relativement modeste du dollar US.
  1. Les défis combinés ayant précipité la dégradation de l’économie russe, l’agitation intérieure sera favorisée.
Cette prédiction a fait long feu. « Les troubles internes en Russie » étant un fantasme de politiciens et militaires occidentaux, il n’y en a eu aucun. La société est au contraire unie et soudée comme jamais auparavant. De larges pans de la population se sont impliqués avec diligence sur les réseaux sociaux et professionnels, afin de surveiller toute tentative visant à troubler la paix et la tranquillité dans le pays. Des experts occidentaux sont même allés jusqu’à se plaindre ridiculement parce que les dernières élections des membres de la Douma étaient « ennuyeuses » et « sans incident ». Considérant que deux semaines avant les élections, l’arrestation d’un colonel de police a permis de rapporter 200 millions de dollars neufs, sortant de la planche à billets US, toujours enveloppés dans l’emballage fédéral ; considérant aussi que 300 millions de dollars ont été trouvés sur les comptes bancaires de son père, l’idée générale est que cet argent était destiné à organiser en Russie un événement du style « Maidan ». Il n’y en a pas eu parce qu’il n’y a pas d’« opposition » sans monnaie étrangère, tout comme il n’y a pas de moisissure sans humidité.
À propos, ce demi-milliard de dollars est allé au budget fédéral.
  1. Selon Stratfor Global Intelligence, « Avec les contraintes de financement imposées aux entreprises russes et aux entreprises occidentales faisant des affaires en Russie, il arrivera un moment pas trop lointain où les retards de financement dans les projets clés occasionneront des dégâts économiques irréparables en Russie. »
Loupé. En prévoyant « des dégâts économiques irréparables » dans l’économie russe, Stratfor a juste réussi à se faire un tort irréparable.
  1. ExxonMobil ayant quitté la Russie, la recherche d’énergie en eau profonde s’est évaporée. La Russie ne sera jamais capable de développer ses gisements offshore pétroliers et gaziers.
Les sanctions des USA et de l’UE incluaient l’interdiction d’exporter des biens, des services et des technologies pour assister les projets d’exploration et de production en eau profonde, au large de l’Arctique, et des schistes bitumineux de GazpromGazprom NeftLukoilSurgutneftegas et Rosneft, incluant les gisements de Yuzhno-Kirinskoye. Les sanctions visaient à paralyser les secteurs énergétiques et financiers de Russie.
« L’intention se voulait chirurgicale, » a déclaré Thane Gustafson, directeur principal et conseiller de l’énergie russe et caspienne chez IHS. Mais « Les résultats concrets ont été radicalement différents… Le secteur censé être visé est celui qui a souffert le moins. »
Matthew Sagers, directeur général de l’énergie russe et caspienne chez IHS, a dit que la Russie « a réussi à s’envoler malgré la gravité », puisque, à sa connaissance, c’est la seule région qui a augmenté ses dépenses d’investissement en 2015 et vu d’autres forages se développer.
La production russe a atteint 10,7 millions de barils par jour en décembre 2015 et s’est élevée jusqu’à environ 10,8 millions de barils par jour en janvier 2016.
La compagnie russe Gazprom a créé un tout nouveau centre de production gazier au-delà du cercle polaire arctique. Une chose qu’aucun pays au monde n’avait pu faire. La Russie a prouvé sa prépondérance dans l’Arctique.
VIe Conférence Internationale « Développement pétrolier et gazier offshore russe : Arctique et Extrême-Orient » (ROOGD-2016)
Les importations chinoises de pétrole russe ont atteint le sommet sans précédent de 33 670 000 barils. 52,4% de hausse par rapport à l’année précédente.
Selon le service de presse d’OPAL Gastransport, le gazoduc OPAL a augmenté de 81% sa capacité de transit à partir du 27 décembre.
NB : EPMAG ment à ses lecteurs quand il écrit « les revenus pétroliers et gaziers représentent plus de 50% des revenus du budget fédéral en Russie ». En réalité, les recettes pétrolières et gazières représentent 21% du budget de la Russie, pas 50%.
La Russie gère un déficit budgétaire assez acceptable, selon les normes occidentales, qui devrait être de 3,8% du PIB (budget consolidé), contre 4,6% l’année précédente.
En 2017, le pays s’attend à une croissance du PIB de 1,6%, à un déficit budgétaire de 1,7% du PIB, et à un taux de change moyen de 63,5 roubles, avec un prix moyen du pétrole brut Brent autour de 50 dollars le baril. Si le prix moyen du pétrole est plus proche de 60 dollars le baril en 2017, la croissance du PIB pourrait dépasser 2%, le déficit budgétaire sera de 1% et le taux de change du dollar pourrait être inférieur à 60 roubles.
  1. La Russie a très peu de possibilités de réagir efficacement aux sanctions occidentales.
Selon l’Institut de recherche économique autrichien, la forte baisse des exportations de l’UE vers la Russie est due, au moins en partie, à l’imposition des sanctions et des contre-sanctions. Les pertes commerciales potentielles, en termes de valeur ajoutée (34 milliards d’euros à court terme et 92 milliards d’euros à long terme) et d’emplois, sont attribuables à la détérioration des relations commerciales, que la prolongation des sanctions peut exacerber. Cette étude (parmi d’autres) conclut donc que les sanctions ont eu de graves conséquences sur l’emploi dans l’UE, coûtant plus de 100 milliards d’euros dans les affaires et jusqu’à 2,5 millions d’emplois.
  1. L’économie russe s’est ratatinée de 4,30% au troisième trimestre 2015, par rapport à la croissance d’environ 1% dans la même période de l’an dernier.
Christensen, O. Fritz et G. Streicher, « Effets des sanctions économiques UE-Russie sur la valeur ajoutée et l’emploi dans l’Union Européenne et en Suisse », étude WIFO, Institut autrichien de recherche économique, Vienne, juillet 2015.
L’économie russe s’est développée en 2016. Le marché boursier s’est renchéri de plus de 40% depuis le début de l’année. Pour la production industrielle en 2016, le ministère du Développement économique russe a révisé en décembre ses perspectives de croissance précédentes de +0,4% à +1%. En novembre, la firme nationale de statistiques RosStat a déclaré que dans les 11 premiers mois de 2016, la production industrielle avait augmenté de +0,8% depuis 2015, et de +2,7% par rapport au même mois de l’année d’avant. La production industrielle a aussi augmenté d’environ +1% par rapport à octobre.
Anton Siluanov, ministre des Finances russe (voir la prévision 3) : « L’économie pourrait surprendre par sa croissance l’année prochaine, » a-t-il déclaré. « Si c’est le cas, la croissance aura un impact sur la dynamique des salaires et des revenus, qui ont déjà fait montre d’une croissance régulière en termes réels grâce à la baisse de l’inflation. »
Soudain… le FSB arrête juste un ministre libéral, et l’économie russe commence à croître.
  1. Le ministre de l’Économie russe (Ulukaev qui a été arrêté il y a un mois) a laissé entendre que peut-être 60 des 83 régions russes sont en crise et que 20 ont déjà fait défaut sur leur dette.
Sa prédiction ne s’est pas réalisée. Le ministre russe de l’Économie, Ulukaev, a été arrêté il y a un mois, officiellement pour corruption et officieusement pour trahison. Les données du FMI sur le ratio de la dette au PIB par pays montrent que la part de la Russie dans la dette mondiale est la plus faible en Europe, ne représente que 0,49% de la dette mondiale, tandis que le reste du continent européen détient plus de 26% du total de la dette mondiale. En septembre 2016, Fitch a donné à la région russe de Penza la notation ‘BB’, perspectives stables. L’économie de Penza est historiquement plus faible que la moyenne russe, avec un PIB par habitant à 76% de la moyenne nationale en 2014. D’autres régions de Russie ont aussi été confirmées « stables ».
  1. La Russie est confrontée à des pénuries alimentaires, et selon Stratfor, le Kremlin « renforce son appareil de sécurité » pour réprimer la population affamée.
Prévision ratée. Aucune révolte de gens affamés. Selon le rapport d’octobre de Bloomberg : la Russie devient superpuissance céréalière, les exportations de blé ayant explosé avec une récolte de céréales s’élevant à 117 millions de tonnes en 2016, la plus grande de toute l’histoire. En 2016, les USA ont perdu leurs exportations de blé vers la Russie. Les producteurs de volailles russes ont trouvé de nouveaux marchés à cause de l’accroissement appréciable de la production intérieure due à l’arrêt des importations.
RosStat : En 2016, le russe moyen consommait 98,5 kg de légumes frais et 72,6 kg de fruits et baies frais.
La Russie enregistre une augmentation de la production de légumes de serre.
D’après la base des données des organismes régionaux de gestion des entreprises agricoles : Dans l’ensemble du pays, le rendement brut des cultures en serre de légumes s’élevait à 607,1 milliers de tonnes au 29 novembre 2016 ; soit 31% de plus qu’en 2015, tandis que le volume total était de 462,4 milliers de tonnes. Le volume des concombres a augmenté de 23% et s’élève à 409,4 milliers de tonnes, contre 333,1 milliers de tonnes en 2015. La production de tomates s’est élevée à 182,5 mille tonnes, soit 53% de plus que les 119,4 mille tonnes de 2015. 15,2 mille tonnes d’autres légumes ont aussi été récoltées. À titre de comparaison, pour la même période de 2015, le rendement était de 9,9 milliers de tonnes, soit 1,5 fois moins.
  1. Selon Stratfor, la Russie s’est impliquée en Syrie à des fins stratégiques, afin de forcer l’engagement avec l’Ouest.
Cette prédiction a aussi fait flop. Les accords entre la Russie, la Syrie, l’Iran et la Turquie, pour mettre fin à la guerre en Syrie, ont eu lieu, et les pays occidentaux en ont été exclus.
  1. Selon Stratfor, pour 2016, l’objectif principal de Moscou est d’obtenir l’assouplissement des sanctions.
Cette prédiction a échoué. Des contre-sanctions russes sont déjà instaurées jusqu’à décembre 2017, avec option de reconduction illimitée.
  1. Stratfor croit que la Russie « utilisera tout ce qui est en son pouvoir – en Ukraine et Syrie – pour se présenter comme un partenaire de bonne volonté. »
Cette prédiction a aussi échoué. Les sanctions occidentales ont réellement relancé l’économie russe.
  1. Obama a prédit que l’implication russe en Syrie deviendra un « bourbier ». En 2015, les responsables US ont qualifié la campagne aérienne russe en Syrie de « fiasco inévitable ».
Autre prédiction ratée. Un an après, la guerre de la Russie en Syrie n’est pas le « bourbier » prédit. La Face Obscure elle-même admet que « les USA ont fait une erreur en disant que cette intervention était une aventure perdue. Ne pas l’avoir prise au sérieux a des ramifications dans la région, au-delà de la guerre syrienne. »
Comme l’admet aussi l’auteur de War On The Rocks, « le bourbier se voit moins dans les opérations militaires russes que dans la pensée US sur la façon de négocier avec Moscou. »

L’actualité en bref

– Les principaux projets de construction de routes en Russie se sont achevés en 2016 (supers photos).
– Mégaprojets mondiaux ne pouvant se passer de la Russie.
– Boeing et VSMPO-AVISMA, leader mondial de la production de pièces forgées en titane pour l’industrie aéronautique, ont accepté de confectionner à Titanium Valley les pièces forgées en titane pour tous les programmes d’avions civils de Boeing, en particulier pour la série de 787, le nouveau 737 MAX et la série de 777X. L’ouverture de l’usine est prévue pour le 1er trimestre 2018.
– La Russie a entamé la mise en valeur de la plus grande mine de titane du monde.
– Prévision pour la Russie et la Biélorussie en 2017 : L’unification des État se poursuivra à tous les niveaux.

Parole de la Face Obscure

Le jeu de la Russie s’appuie sur une situation extrêmement forte en cette nouvelle année 2017.
Le fiasco de l’analyse du bloc occidental est tellement évident qu’il faudrait commencer à chercher les réponses ailleurs, au lieu de gaspiller de l’argent pour nourrir une basse-fosse avide et sans fond, peuplée de pneus de réflexion crevés.
The Saker, Scott


Traduction Petrus Lombard

Photo : Vue aérienne de Moscou sur la Moskova. Centre international des affaires dans le centre de Moscou.